bio express  
 
Tori Amos
Auteur
Compositeur

Née Myra Ellen par un jour d’été de 1963 celle que nous connaissons sous le pseudonyme de Tori Amos présenta des talents précoces pour le piano, entraînée en cela par le profond métissage qui irrigue ses veines. Personnalité incandescente, son détour par le conservatoire de Baltimore lui permettra d’affirmer ses positions contre une Foi hypocrite prêchée par son père qui selon elle est un outil d’endoctrinement et d’asservissement de la femme. S’ensuit sa rencontre embrasée et errante avec le rock. Entre petits clubs sordides et drames personnels elle parvient à enregistrer un album avec son groupe d’alors Y Kant Tori Read qui ne rencontrera malheureusement pas le succès escompté. C’est alors que le déclic se produit et que les plaintes imprécatrices de la rousse s’éveillent au monde dans le sublime et déroutant Little Earthquakes. De coups d’éclats tonitruants en tristesses inconsolables les albums s’enchaînent introspectifs, cosmopolites (la belle n’a jamais caché ses accointances avec les partitions électroniques) et insaisissables. Jusqu’à sa mue maternelle et le périple attentif autant qu’extatique de Scarlet’s Walk.
 
last -14/12/03

parcours    
Y Kant Tori Read
Little Earthquakes
Under the Pink
Boys For Pele
From The Choirgirl Hotel
To Venus And Back
Strange Little Girls
Scarlet's Walk
  Amber Waves 3:38
a sorta fairytale 5:30
Wednesday 2:29
strange 3:05
Carbon 4:33
Crazy 4:23
wampum prayer 0:44
don't make me come to Vegas 4:51
Sweet Sangria 4:01
your cloud 4:30
pancake 3:54
I can't see New York 7:14
mrs. jesus 3:05
Taxi Ride 4:00
another girl's paradise 3:34
Scarlet's Walk 4:16
Virginia 3:55
gold dust 5:54
Tales Of A Librarian
last -14/12/03

multimédias    
Extraits sur fnac.com
last - 14/12/03

liens    
Le site de référence
Le site officiel français
Forum français
last - 14/12/03

Scarlet's Walk - un album de Tori Amos - ::frédéric flament::
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Effluves d’une terre
 
Lorsque nous découvrons l’intriguant concept retenu par Tori Amos pour Scarlet’s Walk – un roman sonore où l’imprécatrice lyrique et sombre d’une Amérique mythifiée plonge profondément dans les méandres de sa nation en confrontant, le long des vagues de l’asphalte chaotique, ses racines irlandaises et cherokees avec les préceptes méthodistes un rien obtus de son père – notre perception est biaisée par son précédent album (le sixième, Strange Little Girl) où la rousse à la voix rauque se grimait pour s’approprier d’un point de vue féminin des chansons d’hommes célébrant l’élégie du beau sexe. Le résultat en était pour le moins inégal dardant une cohérence désenchantée et une violence larvée. En quelques mesures pourtant le timbre guttural désamarré du présent opus aura fait voler en éclat nos réserves pour nous entraîner au coeur d’une vortex inédit, d’une chronique amère où s’entrechoquent, dans une anarchie paisible, la méditation tremblante des désirs et les incantations les plus ésotériques. La chanteuse apparaît sur la jaquette de l’objet dans une posture étonnement sereine, arborant un limpide et
gracile élancement de silhouette pour embrasser l’infini ambré et invisible se profilant aux confins d’une voie rectiligne. Elle est notre guide autodidacte – une nonne fantasque égarée – dans la fracture latente et refoulée de la gangue cotonneuse d’un way of life hégémonique et impérieux. L’offrande se niche déjà dans cette mise en scène de son image, aux antipodes de la cruauté méphistophélique et finalement un peu gratuite de Boys For Pele. Pour emprunter le chemin onirique et sacerdotal qui la mènera au rapprochement de ses racines et en la compréhension d’un pays devenu étranger à lui-même elle revêt les haillons oniriques et baroques d’une sémiologue en souffrance. Et sa voix de s’épandre en vertu d’une cartographie hérissée d’expériences, vaste étendue d’imbrications de blessures.
 
L’idée motrice du disque trouve son origine dans les bouleversements secouant l’intérieur (la naissance de sa fille) et l’extérieur du microcosme patenté de la chanteuse (L’effondrement des Twin Towers un matin banal de septembre) ce qui en explique sa portée incisive et empathique – l’auteur cherche à se mettre à la place des personnes qu’elle rencontre ou simplement de son enfant, des êtres ayant en commun d’être esseulés, prisonniers d’un corps autonome qui les dépasse. Pour Tori Amos il ne s’agit plus de dénoncer crûment – vainement argueront certains – ou de déplorer cyniquement mais bien de comprendre et d’esquisser le temps de dix-huit plages au son dépouillé et intimiste l’hagiographie pragmatique de son peuple assoupi, perdu sur sa terre de contrastes. L’histoire est convoquée, transcrite dans une idiosyncrasie qui touche autant la prosodie étonnante que le rut kaléidoscopique de ce vaillant Bösendorfer. Le piano a, en effet, toujours les faveurs de la belle diaphane et ambiguë qui utilise ses harmoniques inquiètes et réfractées pour communier dans une introversion – la confession brutale à la limite de la psychanalyse est un des stigmates fondateurs de son répertoire avec notamment son viol par
un fan relaté sans ambages dans le sordide et déconcertant Me And A Gun ou ses trois fausses couches resurgissant au détour d’une vocalise déconnectée – subjuguant l’écoute. De fait les instantanés ou polaroïd qu’elle nous rapporte oscillent entre la déréliction et l’extase, le paradisiaque ingénu et la fange abjecte. Et, incidemment, cette peinture tressée envahit la forme musicale, de ruptures en échos. Notre entomologiste susurre entre râles exténués et complaintes crépusculaires (Mrs. Jesus sublime de dérive réprimée) une nouvelle mystique, où voix et instruments se confondent organiquement – si bien qu’on ne saurait subodorer quel flux naît de l’autre pour s’ébrouer avant d’y retourner –, fusionnent dans un paradigme vaporeux, s’accaparent réciproquement en transpirant un idiome vibrant (Crazy et Scarlet’s Walk). Par-là l’artiste entreprend une curieuse transfiguration de son œuvre puisque les chansons semblent à tout moment en avance sur elles-mêmes, nécessitant un bref recalage d’abscisse. Elle invente simplement les mélopées relativistes à capter en mouvement. De fait, elle étoffe pour la première fois son tour de chant en s’associant à un bassiste et à un batteur. Les références à Led Zeplin ou Bela Bartok se font ténues, digérées, pour une création mature enregistrée en Cornouailles avec des collaborateurs de longue date (Jon Evans à la basse, Matt Chamberlain aux percussions et John Philip Shenale arrangeant les cordes du Sinfonia of London) et des nouvelles influences stimulantes (les trois guitaristes Robbie McIntosh, Mac Aladdin et David Torn).
 
Oubliées la frustration et l’angoisse singulières, la collecte de sensations sur le vaste territoire américain amplifie la tessiture et l’impact des textes sonores pour approcher délicatement la prophétie métissée. Et, ainsi, l’artiste s’ouvre complètement au monde, converse avec ses contemporains – son aversion pour l’ordre et la métamorphose de sa démesure frivole et sèche abolissent toute dimension épistolaire pour adouber le dialogue total et direct –, se laissant transpercer par la rumeur et l’absolu gigantisme d’un paysage stratifié, protéiforme et mutant. Des émanations d’un ciel oppressant (Your Clouds) aux ondoiements diaprés d’une société (le pénétrant Strange s’immisce durablement dans nos psychés comme un gémissement aux entrelacs polysémiques) l’artiste apponte de façon peu orthodoxe ou flatteuse sur la détresse et la démission cyclothymiques autant que la soif de transcendance d’un pays ébranlé et en manque de repères d’appartenance. Des faits relatés jadis sous une véranda ombragée et songeuse par son aïeul amérindien et que la chanteuse rapporte ainsi : «En Caroline du Nord où, enfant puis adolescente, je passais l’été, ces histoires étaient nos racines et
renforçaient notre sentiment d’appartenance. Mon grand-père Cherokee ranimait ces souvenirs en me racontant des histoires de son peuple. Je ressentais une incroyable compassion pour ce qui leur était arrivé. Je suis sûre qu’avant de mourir, mon grand-père m’a vaccinée contre l’oubli.». Voilà à quoi aspirent finalement ces soixante-quatorze minutes opulentes et sobres, à une piqûre de rappel esquissée pour un melting pot triomphant en proie à la dislocation au premier revers cuisant. La psalmodie lovée dans les interstices de sa composition n’est qu’une litanie léchée contre l’obscurantisme et l’ethnocentrisme, s’effilochant doucement avec une légèreté opalescente.
 
Perdue sur un sol policé qu’on nomme Amérique, pour reprendre sa prose, Tori emprunte le costume candide et épuré de la jeune Scarlet afin de débrouiller les flashs furieux qui l’assaillent durant son périple. Monstre, déesse ou pythie désemparée elle tente avec cette odyssée, plus que de comprendre, de se poser les véritables questions sur les tourments qui accablent son pays. Les diverses responsabilités de chacun, la vision qu’ont les entités du tout qui les enchâsse, la léthargie intellectuelle et l’apathie morale encouragées, autant de souffles à recueillir, à explorer. Au-delà de ces constatations brutes et émotionnelles elle élabore avec son personnage de substitution «un fil conducteur, un fil dans notre trame personnelle, qui nous lie et nous relie». Car il s’agit de déceler, dans une foudroyante et limpide évidence, au carrefour d’une civilisation hagarde, l’essence d’une génération et sa fonction revendiquée de relais, de transmission (Gold Dust) aux dépositaires futurs d’une contrée exsangue. La hantise d’un album délaissant les rives provocantes de l’expérimental (musique électronique) et de l’abstrait pour enfin concevoir «que la musique n'est pas séparée de la vie, qu'elle n'est pas un divertissement», même un aigle prolixe taxé de forfanterie doit se poser (Wednesday) conclue-t-elle ironiquement. Peut-être pour s’enhardir à contempler l’horizon et à en invoquer l’insondable perplexité. 
 
 
 
frédéric flament